Cameroun : Où est passé Marcel Niat Njifenji 91 ans président du sénat et n°2 de l'État ?
Aucune apparition publique depuis juin 2025 pour le président du Sénat camerounais.
Six mois. C'est le temps écoulé depuis la dernière apparition publique de Marcel Niat Njifenji, président du Sénat camerounais et deuxième personnalité de l'État. À 91 ans, celui qui devrait constitutionnellement assurer l'intérim en cas de vacance du pouvoir présidentiel s'est complètement évanoui dans la nature, alimentant les rumeurs les plus folles et les inquiétudes les plus légitimes sur l'état réel des institutions camerounaises.
Le 11 juin 2025, Marcel Niat Njifenji présidait l'ouverture de la session ordinaire du Sénat. Ce jour-là, visiblement diminué mais déterminé, il avait pris la parole pour délivrer un message axé sur la préservation de l'unité nationale, mettant en garde contre les discours de haine et les manipulations sur les réseaux sociaux.
Mais surtout, le président du Sénat avait déclaré avec force : « Je tenais à faire ce discours pour dire que je suis là. Des choses se disent mais je suis toujours là ». Une déclaration qui sonnait presque comme un testament politique, tant le nonagénaire semblait conscient des interrogations sur sa capacité à exercer ses fonctions.
« La maladie passera mais le Cameroun restera », avait-il ajouté, dans une formule qui résonne aujourd'hui de manière particulière. Depuis ce 11 juin, plus rien. Le président du Sénat s'est littéralement volatilisé de l'espace public camerounais.
Un homme déjà affaibli lors de sa dernière apparition
Les témoins présents lors de cette session de juin avaient noté l'état de santé préoccupant du président du Sénat. Les images diffusées montraient un homme visiblement affaibli, luttant pour maintenir sa lucidité lors de son discours. La simple présence de Marcel Niat Njifenji à cette tribune avait d'ailleurs été interprétée comme un ultime effort pour faire taire les rumeurs persistantes sur son état de santé.
Cette apparition intervenait d'ailleurs après son absence remarquée aux célébrations de la Fête nationale du 20 mai 2025, un événement pourtant incontournable pour la deuxième personnalité de la République. À l'époque déjà, des sources gouvernementales évoquaient pudiquement des « questions de santé » pour justifier cette absence.
Parcours
Pour comprendre l'ampleur du vide laissé par cette disparition, il faut rappeler qui est Marcel Niat Njifenji. Né le 26 octobre 1934 à Bangangté dans la région de l'Ouest, cet ingénieur mathématicien diplômé de Supélec incarne une part substantielle de l'histoire du développement camerounais.
Entré dans la fonction publique en 1960 comme ingénieur des ponts et chaussées, il consacre l'essentiel de sa carrière au secteur énergétique. Directeur général de la SONEL entre 1974 et 1984, puis de 1989 à 2001, il supervise la construction d'infrastructures majeures : les barrages de Bamendjing et de Bakaou, la centrale de Song Loulou, le barrage de Lagdo. Sa vision et son expertise technique permettent au Cameroun de développer son potentiel hydroélectrique et d'électrifier plus de 2000 villes et villages.
En 1990, Paul Biya l'appelle au gouvernement comme ministre du Plan et de l'Aménagement du territoire, avant de le nommer vice-Premier ministre chargé des Mines, de l'Eau et de l'Énergie en 1992. Député, maire de Bangangté de 2002 à 2007, Marcel Niat Njifenji gravit tous les échelons de la République.
Treize ans au perchoir du Sénat
Le 12 juin 2013, lors de la mise en place effective du Sénat camerounais, Marcel Niat Njifenji devient le tout premier président de cette institution. Avec 86 voix sur 100, il s'installe dans un fauteuil qu'il n'a plus jamais quitté depuis.
Le 18 mars 2025, pour la 13ème fois consécutive, Marcel Niat Njifenji était réélu président du Sénat. Comme à chaque fois, il était le seul candidat à sa propre succession, signe de la mainmise absolue du RDPC sur l'institution et de la confiance que lui accorde le président Paul Biya.
Cette longévité exceptionnelle fait de lui une figure unique du paysage institutionnel camerounais. Treize réélections en treize ans, toujours sans concurrent, toujours avec des scores plébiscitaires. Un record absolu qui illustre autant la stabilité du système que son immobilisme.
Santé déclinante
Pourtant, depuis plusieurs années, l'état de santé de Marcel Niat Njifenji suscite les inquiétudes. Régulièrement hospitalisé en France, notamment à l'Hôpital américain de Paris, le président du Sénat a fait l'objet de multiples rumeurs de décès, systématiquement démenties par sa famille.
En juin 2024, Marcel Njifenji avait répondu à ses détracteurs qu'il était présent malgré son état de santé qui l'imposait parfois d'être hors du pays. Une manière d'expliquer ses absences répétées et prolongées, qui obligeaient régulièrement le premier vice-président du Sénat, Sa Majesté Aboubakary Abdoulaye, à assurer l'intérim de facto.
En décembre 2023, une évacuation sanitaire d'urgence vers Paris avait déclenché une nouvelle vague de rumeurs sur son décès. La famille avait dû diffuser des images et des vidéos pour prouver qu'il était toujours en vie. En mars 2024, il était rentré discrètement à Yaoundé dans la nuit précédant son élection au perchoir, juste à temps pour être réélu.
Les observateurs notent que Marcel Niat Njifenji a de plus en plus de mal à marcher, traînant les pieds au sol lors de ses rares déplacements. Les vidéos le montrant danser lors de sa fête d'anniversaire avaient fait le tour des réseaux sociaux, certains y voyant une preuve de vitalité, d'autres un spectacle pathétique révélant sa déchéance physique.
Succession présidentielle
L'absence prolongée de Marcel Niat Njifenji pose un problème politique majeur qui dépasse largement sa personne. En tant que président du Sénat, il est constitutionnellement le successeur direct du président de la République en cas de décès, de démission ou d'empêchement définitif.
Or, avec Paul Biya âgé de 92 ans et entamant un huitième mandat qui doit théoriquement durer jusqu'en 2032, quand il aura 99 ans, la question de la succession n'est plus théorique. Elle devient une urgence politique que le régime refuse obstinément d'aborder publiquement.
Dans l'hypothèse d'une vacance présidentielle, c'est Marcel Niat Njifenji qui devrait constitutionnellement assumer l'intérim et organiser une nouvelle élection dans un délai de 120 jours. Mais comment un homme qui n'apparaît plus en public depuis sept mois, dont l'état de santé est manifestement très dégradé, pourrait-il assumer cette responsabilité colossale ?
Cette situation absurde révèle les contradictions profondes d'un système qui privilégie la loyauté et l'ancienneté à toute autre considération. En maintenant à des postes stratégiques des hommes malades, affaiblis, parfois presque invalides, le régime s'assure certes un contrôle absolu, mais crée une bombe à retardement institutionnelle.
Silence
Face à cette disparition prolongée, le silence des autorités est total. Contrairement aux années précédentes où des communiqués, des photos ou des vidéos venaient régulièrement rassurer l'opinion publique, plus rien ne filtre depuis juin 2025.
Ni le Sénat, ni la présidence de la République, ni le RDPC n'ont fourni la moindre information officielle sur l'état de santé ou le lieu où se trouve Marcel Niat Njifenji. Cette omerta totale alimente naturellement toutes les spéculations.
Les réseaux sociaux bruissent de rumeurs contradictoires. Certains affirment qu'il serait décédé et que le régime cacherait la nouvelle pour des raisons politiques. D'autres évoquent une hospitalisation de longue durée en Europe. D'autres encore parlent d'un retrait volontaire de la vie publique, conscient de ne plus pouvoir assumer ses fonctions.
Ce qui est certain, c'est que le Sénat camerounais fonctionne depuis sept mois sans que son président n'apparaisse publiquement. Le premier vice-président assure l'essentiel des tâches quotidiennes, dans une situation d'intérim permanent qui ne dit pas son nom.
Gérontocratie
Le cas de Marcel Niat Njifenji n'est malheureusement pas isolé. Il s'inscrit dans un système gérontocratique où les trois principales institutions de l'État sont dirigées par des nonagénaires ou presque.
Paul Biya, 92 ans, préside la République. Cavayé Yéguié Djibril, 85 ans, dirige l'Assemblée nationale. Marcel Niat Njifenji, également 91 ans, est censé présider le Sénat. Trois hommes nés dans les années 1930, aux commandes d'un pays dont l'âge médian est de 18 ans.
Cette situation n'est pas le fruit du hasard, mais d'une stratégie délibérée. En maintenant au pouvoir des personnalités âgées, totalement dévouées au président Biya, le régime élimine tout risque de contestation interne. Ces hommes ne constituent aucune menace pour le chef de l'État, car ils n'ont ni l'énergie, ni l'ambition, ni le temps politique de lui succéder.
Mais le prix à payer est considérable. Les institutions se vident de leur substance, réduites à des coquilles vides dirigées par des hommes qui ne peuvent plus assumer pleinement leurs fonctions. Le Parlement devient une chambre d'enregistrement, le Sénat une institution fantôme.
Et maintenant ?
La question se pose désormais avec acuité : combien de temps cette situation peut-elle encore durer ? Combien de temps le régime peut-il maintenir la fiction d'un président du Sénat en exercice alors qu'il n'apparaît plus nulle part ?
Plusieurs scénarios sont possibles. Le premier serait une réapparition de Marcel Niat Njifenji, prouvant qu'il est toujours vivant et capable, même minimalement, d'assumer ses fonctions. Mais au vu de la durée de son absence, ce scénario semble de moins en moins probable.
Le deuxième scénario serait une annonce officielle reconnaissant son empêchement temporaire ou définitif, ouvrant la voie à son remplacement. Mais cela impliquerait de reconnaître publiquement que le numéro 2 de l'État n'est plus en mesure d'exercer ses fonctions, avec toutes les questions embarrassantes que cela soulèverait.
Le troisième scénario, le plus probable au vu des pratiques du régime, serait la continuation de cette situation d'attente indéfinie. Marcel Niat Njifenji reste officiellement président du Sénat, son premier vice-président continue d'assurer l'intérim de facto, et le système fonctionne tant bien que mal dans l'opacité.
En coulisses, la bataille pour succéder à Marcel Niat Njifenji aurait déjà commencé, même si aucune candidature ne s'affiche publiquement. Plusieurs noms circulent dans les milieux informés, mais toute spéculation reste hasardeuse tant que le chef de l'État n'a pas tranché. L’administration camerounaise fonctionne comme le veut Biya. A son image.
La question est d'autant plus sensible qu'elle touche aux équilibres régionaux et ethniques qui constituent l'ADN du système politique camerounais. Marcel Niat Njifenji, originaire de la région de l'Ouest et appartenant au groupe Bamiléké, occupe une position symboliquement importante. Son éventuel remplacement devra tenir compte de ces équilibres délicats.
Certains observateurs estiment que le régime pourrait profiter de cette transition pour installer un homme plus jeune, plus dynamique, capable de redynamiser l'institution. D'autres pensent au contraire que la continuité primera, avec la nomination d'un autre fidèle du régime, probablement du même âge et du même profil.
Système à bout de souffle ?
Au-delà du cas personnel de Marcel Niat Njifenji, c'est tout le système politique camerounais qui est interpellé par cette disparition. Comment un pays peut-il prétendre fonctionner normalement quand le numéro 2 de l'État est introuvable depuis six mois ?
Cette situation révèle l'état de délabrement avancé des institutions camerounaises, transformées en coquilles vides au service d'un régime vieillissant. Le Sénat, censé être une chambre de réflexion et de contrôle, fonctionne sans que son président n'apparaisse. L'Assemblée nationale est dirigée par un quadragénaire dont les capacités physiques sont également limitées. Et le président de la République lui-même passe l'essentiel de son temps dans son village quand ce n’est pas à l'étranger, dirigeant le pays à distance.
Pour les Camerounais ordinaires, ces institutions semblent de plus en plus déconnectées de leurs préoccupations quotidiennes. La jeunesse du pays, confrontée au chômage, à la pauvreté, à l'insécurité, voit un pouvoir confisqué par une génération qui refuse de passer la main.
Marcel Niat Njifenji, où êtes-vous ?
Cette question, que se posent aujourd'hui de nombreux Camerounais, résonne bien au-delà de l'inquiétude légitime pour un homme de 91 ans dont la santé est fragile. Elle interroge la nature même du pouvoir au Cameroun, sa transparence, son rapport aux citoyens.
Dans une démocratie normale, la disparition prolongée d'une personnalité aussi importante que le président du Sénat susciterait immédiatement des questions au Parlement, des interpellations de la presse, des exigences de transparence de la part de l'opinion publique. Au Cameroun, elle ne provoque qu'un silence gêné et des rumeurs sur les réseaux sociaux.
Ce silence en dit long sur l'état réel de la démocratie camerounaise. Les institutions ne sont plus que des façades, les hommes qui les dirigent des fantômes, et le pouvoir réel s'exerce ailleurs, dans l'ombre, loin de tout contrôle démocratique.
Six mois après sa dernière apparition publique, Marcel Niat Njifenji reste officiellement président du Sénat et deuxième personnalité de la République. Mais dans les faits, il a disparu. Et avec lui, c'est une partie de la crédibilité des institutions camerounaises qui s'est évanouie.
La question n'est plus de savoir où est Marcel Niat Njifenji, mais combien de temps encore le Cameroun pourra continuer de fonctionner avec des institutions dirigées par des dirigeants invisibles.
-Armand Ougock, correspondant permanent de Koaci au Cameroun.
-Joindre la rédaction camerounaise de Koaci au 237 691154277-ou cameroun@koaci.com
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