Cameroun : Répression sanglante de l'après scrutin, le régime Biya confirme 20 morts et 1243 arrestations
Le gouvernement camerounais a présenté ce mardi le bilan accablant de sa propre incurie. Lors de la deuxième conférence annuelle des gouverneurs de régions tenue ce mardi 25 novembre, Paul Atanga Nji le ministre de l'Administration territoriale (équivalent du ministère de l’Intérieur) a dévoilé le bilan officiel des violences qui ont suivi l'élection présidentielle.
Selon Paul Atanga Nji 20 personnes ont perdu la vie et plus de 1200 individus ont été placés en détention. Des chiffres qui, loin de démontrer une quelconque maîtrise de la situation, révèlent au contraire l'échec cuisant d'un appareil d'État incapable de prévenir le chaos et prompt à réprimer plutôt qu'à dialoguer.
Lourd tribut humain
Le décompte macabre présenté par le ministre détaille la répartition géographique des décès survenus lors des manifestations qui ont embrasé le pays. La région du Littoral paie le plus lourd tribut avec 13 victimes, dont 9 manifestants non armés et 4 personnes décédées officiellement dans une débandade.
Dans la région de l'Est, 3 manifestants non armés ont également trouvé la mort, tout comme 3 autres dans le Nord et 1 dans l'Ouest. Seules les régions de l'Adamaoua et de l'Extrême-Nord ont été épargnées par ces pertes humaines, selon les déclarations officielles.
Le caractère « non armé » des manifestants décédés constitue un aveu à peine voilé : l'État a réprimé des citoyens désarmés, qui n'exerçaient que leur droit légitime à contester des résultats électoraux qu'ils jugeaient frauduleux. Cette précision, loin d'exonérer les autorités, alourdit au contraire leur responsabilité morale et politique.
Plus de 1200 arrestations
Au-delà du bilan mortel, Paul Atanga Nji a annoncé l'interpellation de 1243 personnes, accusées de divers actes délictueux : pillages en bande organisée, actes de vandalisme et destructions par le feu visant des biens tant publics que privés. Ces suspects et leurs présumés complices seront traduits devant les juridictions compétentes, a promis le ministre sur un ton qui se voulait ferme et dissuasif.
Mais cette vague d'arrestations pose une question fondamentale : combien de ces détenus sont réellement coupables des faits qui leur sont reprochés, et combien sont simplement des manifestants pacifiques pris dans les mailles d'un filet répressif jeté à l'aveugle ? L'histoire du Cameroun regorge d'exemples d'arrestations arbitraires, de procès expéditifs et de détentions prolongées sans fondement légal solide. Dans un contexte post-électoral hautement tendu, où la confiance envers les institutions judiciaires est au plus bas, ces arrestations massives ressemblent davantage à une intimidation collective qu'à une véritable quête de justice.
Responsabilités
Ce qui frappe dans les déclarations du ministre Atanga Nji, c'est l'absence totale d'autocritique. 20 morts, plus de mille arrestations, des villes mises à feu et à sang : voilà le résultat d'une élection dont la crédibilité était déjà sérieusement mise en doute avant même l'ouverture des bureaux de vote. Au lieu d'interroger les causes profondes de cette colère populaire – opacité du processus électoral, soupçons de fraude massive, absence de dialogue avec l'opposition, verrouillage des libertés publiques –, le gouvernement se contente de comptabiliser les dégâts et de brandir la menace judiciaire.
Où sont les mesures d'apaisement ? Où sont les initiatives de réconciliation ? Où est la reconnaissance, même minimale, que la population a des griefs légitimes ? Nulle part. Le pouvoir en place préfère la posture martiale à l'ouverture démocratique, la répression à la concertation, l'affichage musclé à la sagesse politique.
Échec
Cette crise post-électorale révèle l'incapacité chronique du gouvernement camerounais à anticiper et à gérer les tensions sociales. Plutôt que d'investir dans la transparence électorale, dans le renforcement de la confiance des citoyens envers les institutions, et dans l'ouverture d'espaces de dialogue, les autorités ont misé exclusivement sur l'appareil sécuritaire. Le résultat est édifiant : 20 morts, des centaines de blessés probables (dont le nombre n'a même pas été communiqué), et plus de 1200 personnes jetées en prison.
Cette stratégie du tout-répressif ne fait qu'envenimer une situation déjà explosive. Chaque arrestation arbitraire crée une famille meurtrie, chaque manifestant tué devient un martyr aux yeux de ses proches et de sa communauté, chaque abus renforce le sentiment d'injustice qui alimente la contestation. Le gouvernement ne semble pas comprendre qu'on ne bâtit pas la stabilité sur la peur et la coercition, mais sur la légitimité, la justice et le respect des droits fondamentaux.
Judiciarisation dangereuse
L'annonce que les suspects seront traduits devant les tribunaux pourrait sembler rassurante si le système judiciaire camerounais jouissait d'une réelle indépendance. Malheureusement, ce n'est pas le cas. Les observateurs nationaux et internationaux dénoncent depuis des années l'instrumentalisation de la justice à des fins politiques, la lenteur procédurale délibérée pour maintenir les opposants en détention préventive, et les verdicts prononcés sous pression de l'exécutif.
Dans ce contexte, la promesse de Paul Atanga Nji que les accusés « rendront compte » ressemble davantage à une menace qu'à une garantie de procès équitable. Combien de ces 1243 personnes auront accès à une défense digne de ce nom ? Combien croupiront en prison pendant des mois, voire des années, avant même d'être jugées ? Combien seront condamnées sur la base de preuves fragiles ou de témoignages forcés ?
Nation fracturée
Le bilan présenté par le ministre de l'Administration territoriale est celui d'un pays à bout de souffle, d'une société fracturée où la violence remplace le débat et où l'État répond aux frustrations légitimes par la matraque et les barreaux. Vingt familles pleurent leurs morts, plus d'un millier d'autres se demandent quand elles reverront leurs proches arrêtés, et l'immense majorité des Camerounais se demande jusqu'à quand cette spirale mortifère va continuer.
Le Cameroun mérite mieux que des conférences où l'on comptabilise les cadavres et les prisonniers comme des trophées administratifs. Il mérite un gouvernement qui écoute, qui dialogue, qui respecte la volonté populaire et qui met la paix sociale au-dessus de la préservation du pouvoir à tout prix. Tant que ces priorités ne seront pas inversées, le pays restera assis sur une poudrière, et chaque échéance électorale risquera de se transformer en tragédie nationale.
Les 20 morts et les 1243 arrestations ne sont pas des statistiques. Ce sont des vies brisées, des destins fracassés, des familles détruites. Et c'est la responsabilité pleine et entière d'un gouvernement qui a choisi la force plutôt que la sagesse, la répression plutôt que le dialogue, et qui devra un jour répondre de ses choix devant l'Histoire.
Le gouvernement, a non seulement échoué à répondre aux préoccupations légitimes soulevées par le processus électoral, mais a choisi d'y répondre par la force brute. Le bilan des 20 morts et des 1 243 détenus est le terrible coût de la tentative désespérée du régime de maintenir une emprise sur le pouvoir, témoignant d'une dérive autoritaire dangereuse.
-Armand Ougock, correspondant permanent de Koaci au Cameroun.
-Joindre la rédaction camerounaise de Koaci au 237 691154277-oucameroun@koaci.com
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