Cameroun : Formation du gouvernement, Ngoh Ngoh contre Mvondo Ayolo, duel au sommet
Plus d’un mois après la prestation de serment de Paul Biya pour un huitième mandat le 6 novembre 2025, les Camerounais demeurent dans l'expectative. Le remaniement ministériel tant attendu tarde à voir le jour, alimentant rumeurs et spéculations dans les couloirs du pouvoir. Au cœur de cette attente interminable, deux camps se battent pour le contrôle du pouvoir. Ces clans polarisent toutes les attentions : Ferdinand Ngoh Ngoh d’un côté et Samuel Mvondo Ayolo de l’autre.
Deux géants en compétition
Ferdinand Ngoh Ngoh, ministre d'État et secrétaire général de la présidence de la République, et Samuel Mvondo Ayolo, directeur du cabinet civil avec rang de ministre, incarnent les deux pôles de pouvoir les plus proches du chef de l'État. Ces deux figures centrales du sérail, tous deux issus du groupe ethno-linguistique Fang-Beti-Boulou comme le président Biya, se livrent une guerre d'influence larvée pour maintenir ou renforcer leur position dans le futur gouvernement.
Selon des sources proches de la présidence, cette rivalité entre les deux collaborateurs les plus influents du chef de l'État expliquerait en partie le retard accusé dans la publication de la nouvelle équipe gouvernementale. L'enjeu est de taille : il s'agit pour chacun d'eux de démontrer son indispensabilité auprès d'un président Biya qui, à 92 ans, reste le maître incontesté de l'art du dosage politique.
Ferdinand Ngoh Ngoh, réputé pour bénéficier du soutien de la Première dame Chantal Biya, s'est progressivement imposé comme l'homme fort du régime depuis sa nomination en 2011. Coordinateur de nombreux dossiers stratégiques, il dispose d'une influence considérable sur l'appareil d'État. Samuel Mvondo Ayolo, proche de la famille du président Biya, a quant à lui su tirer son épingle du jeu en s'imposant comme un organisateur hors pair, notamment lors de grandes cérémonies officielles.
Rivalité
Cette compétition au sommet n'est pas nouvelle. En janvier 2022, lors de la Coupe d'Afrique des Nations organisée au Cameroun, les tensions entre les deux hommes avaient déjà éclaté au grand jour. Écarté de la task force chargée du suivi des chantiers de construction des infrastructures par Ngoh Ngoh, Mvondo Ayolo avait pris sa revanche lors de la cérémonie d'ouverture, qu'il avait brillamment orchestrée, reléguant son rival au second plan.
Plus récemment, des observateurs notent que Samuel Mvondo Ayolo aurait progressivement gagné du terrain dans la confiance présidentielle, profitant de certaines maladresses ou décisions controversées attribuées à Ferdinand Ngoh Ngoh. La gestion de la crise anglophone, notamment, aurait révélé des divergences stratégiques entre les deux camps : tandis que Ngoh Ngoh aurait favorisé l'ouverture du dialogue, Mvondo Ayolo défendrait une ligne plus ferme.
Un gouvernement qui a fait son temps
Le gouvernement actuellement en poste, formé le 4 janvier 2019, affiche près de sept ans d'existence. Cette longévité exceptionnelle, même dans le contexte camerounais où les remaniements sont traditionnellement parcimonieux, soulève de nombreuses interrogations. L'habitude voulait que Paul Biya procède à un remaniement de son gouvernement au lendemain de chaque élection présidentielle, une tradition qui remonte à son accession au pouvoir en 1982.
Le gouvernement de Joseph Dion Ngute, nommé Premier ministre en remplacement de Yang Philémon, a traversé de multiples crises : la persistance du conflit dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, la pandémie de Covid-19, les tensions sécuritaires dans la région de l'Extrême-Nord face à Boko Haram, et plus récemment, la crise postélectorale consécutive à la présidentielle d'octobre 2025.
Le contexte actuel est particulièrement délicat. Depuis la Gambie où il s'est réfugié après un passage au Nigeria, Issa Tchiroma Bakary continue de contester la victoire de Paul Biya, créant une situation de tension politique inédite. L'ancien ministre, qui a obtenu officiellement 35,19% des suffrages selon les chiffres officiels, maintient ses accusations de fraude massive et refuse de reconnaître les résultats proclamés par le Conseil constitutionnel le 27 octobre 2025.
Dans ce climat délétère, le chef de l'État doit composer avec de multiples exigences parfois contradictoires. D'un côté, la nécessité d'un renouvellement pour répondre aux aspirations d'une population camerounaise fatiguée de voir les mêmes visages aux commandes depuis des décennies. De l'autre, l'impératif de maintenir la stabilité d'un système rodé, qui a permis à Paul Biya de traverser plus de quatre décennies au pouvoir sans encombre majeure.
Le dilemme Ngoh Ngoh-Mvondo Ayolo illustre parfaitement cette équation complexe. Écarter l'un ou l'autre pourrait déstabiliser des équilibres fragiles au sein de l'appareil d'État. Les maintenir tous deux nécessite de trouver un agencement subtil qui préserve leurs prérogatives respectives sans alimenter davantage leur rivalité.
Défis
Au-delà des questions de personnes, le futur gouvernement devra faire face à des défis considérables. Sur le plan sécuritaire, la crise anglophone perdure depuis 2016 et a fait des milliers de victimes. Les attaques de Boko Haram dans l'Extrême-Nord continuent de menacer les populations civiles. La situation humanitaire dans les zones de conflit demeure préoccupante.
Sur le plan économique, malgré une croissance projetée à 4,1% pour 2025 selon le programme gouvernemental présenté en décembre 2024, le Cameroun fait face à des défis structurels importants. L'inflation, estimée à 4% pour 2025, érode le pouvoir d'achat des citoyens. Les infrastructures restent insuffisantes malgré les investissements consentis. La corruption demeure endémique et freine le développement.
Le budget 2025, qui s'élève à plus de 7 000 milliards de FCFA, devra permettre de financer ces priorités dans un contexte de ressources limitées. La dépendance aux matières premières, notamment le pétrole et le cacao, rend l'économie vulnérable aux fluctuations des cours mondiaux.
L’attente s'éternise
Dans les ministères, les administrations et au sein de la population, l'attente se fait de plus en plus pesante. Chaque jour qui passe alimente les rumeurs les plus folles sur la composition du futur gouvernement. Les listes de ministres présumés circulent sur les réseaux sociaux et dans les médias, sans qu'aucune confirmation officielle ne vienne les valider ou les infirmer.
Cette situation d'incertitude prolongée n'est pas sans conséquences. Elle paralyse certaines initiatives, retarde des décisions importantes et alimente un sentiment général d'immobilisme. Les fonctionnaires en attente de nomination ou de reconduction sont dans l'expectative. Les projets nécessitant une validation politique sont mis en suspens.
Selon les initiés du palais d'Etoudi, le nouveau gouvernement serait « déjà prêt », ne manquant plus que la signature présidentielle pour être publié. Mais dans un système où le président Biya cultive l'art du temps long et de la décision solitaire, personne ne peut prédire quand tombera enfin l'annonce tant attendue.
Méthode Biya
Cette longue période d'attente est en réalité caractéristique du style de gouvernance de Paul Biya. Depuis son accession au pouvoir en 1982, le chef de l'État camerounais a fait de la patience et du calcul politique ses principales armes. Chaque nomination, chaque limogeage fait l'objet d'une réflexion minutieuse visant à préserver les équilibres ethniques, régionaux et factuels qui constituent le socle de sa longévité politique.
Le cas Ngoh Ngoh-Mvondo Ayolo n'est qu'un exemple parmi d'autres des arbitrages complexes que doit opérer le président. Au-delà de ces deux figures, c'est tout un écosystème de réseaux d'influence, de clans régionaux et de lobbies économiques qui attend avec impatience de connaître ses positions dans le prochain dispositif gouvernemental.
Certains observateurs y voient une stratégie délibérée : en maintenant l'incertitude, Paul Biya garde la main sur l'ensemble de la classe politique, qui reste suspendue à ses décisions. D'autres y lisent les hésitations d'un homme de 92 ans, confronté à des choix difficiles dans un contexte politique et sécuritaire particulièrement tendu.
Quand le nouveau gouvernement sera enfin dévoilé, il devra rapidement se mettre au travail pour répondre aux attentes immenses des Camerounais. Les défis sont nombreux et urgents : restaurer la paix dans les régions en conflit, relancer l'économie, lutter contre la corruption, améliorer les infrastructures, moderniser l'administration.
La question de la succession de Paul Biya, bien que toujours taboue officiellement, plane également sur les esprits. À 92 ans et entamant un huitième mandat qui se terminera en 2032 alors qu'il aura 99 ans, le chef de l'État est le plus vieux dirigeant élu en exercice au monde. La composition du prochain gouvernement donnera peut-être des indices sur les scénarios de transition envisagés par le régime.
En attendant, le Cameroun reste dans l'expectative. Les Camerounais espèrent simplement que le futur gouvernement, quel qu'il soit, saura répondre à leurs aspirations légitimes à plus de sécurité, de prospérité et de justice.
La nuit des longs couteaux approche, dit-on dans les couloirs du pouvoir. Mais seul Paul Biya connaît le moment exact où elle se produira, et qui en seront les victimes et les survivants.
-Armand Ougock, correspondant permanent de Koaci au Cameroun.
-Joindre la rédaction camerounaise de Koaci au 237 691154277-oucameroun@koaci.com
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