Cameroun : Biya peine à sortir le pays du gouffre financier, les caisses de l'État sont-elles vraiment vides ?
Paul Biya
Dans sa correspondance datée du 11 novembre 2025 adressée à l'Administrateur du Fonds Routier, Louis Paul Motaze, suspend pour deux mois les versements automatiques au Fonds d'Entretien Routier pour permettre au Trésor Public d'honorer les dépenses jugées prioritaires : salaires, pensions et service de la dette extérieure dont les arriérés atteignent désormais 145 milliards de FCFA. Le ministre des Finances justifie cette suspension exceptionnelle par la nécessité absolue de régler les rémunérations des fonctionnaires et une portion du service de la dette extérieure. Le document précise que la Banque des États de l'Afrique Centrale (BEAC) a reçu instruction de suspendre les débits d'office au profit du Fonds Routier pour les mois de novembre et décembre 2025.
Le Cameroun est-il en situation de rupture de trésorerie ? Le sacrifice du Fonds Routier, dont la mission première consiste à financer l'entretien, la réhabilitation et la sécurisation du réseau routier national, illustre l'ampleur des tensions budgétaires que traverse le pays.
Le ministre promet toutefois que ces ressources seront remboursées dès l'encaissement d'un prêt en cours de négociation auprès d'Afreximbank, la Banque africaine d'import-export. Une promesse qui traduit la dépendance croissante du pays vis-à-vis de l'endettement extérieur pour gérer ses dépenses courantes.
Les prophéties alarmantes de Dieudonné Essomba se réalisent-elles ?
Cette crise de liquidités n'est pas une surprise pour l'économiste Dieudonné Essomba qui, dès 2022, alertait sur la trajectoire dangereuse empruntée par le Cameroun. Dans une tribune publiée en mars 2022 et intitulée « Camerounais, priez Dieu, car le pire est devant », cet expert dressait un diagnostic sans appel de la gouvernance macroéconomique du pays.
À l'époque, ses avertissements n'avaient trouvé écho que chez le regretté Professeur Pius Ottou. Les autres économistes l'avaient raillé, brandissant les critères de convergence de la CEMAC comme preuve de la solidité économique du pays. Aujourd'hui, la réalité lui donne raison de manière brutale.
Dérive financière
Selon l'analyse de Dieudonné Essomba, le Cameroun a gaspillé l'opportunité historique que représentait sa sortie de crise en 2006, après 19 années d'ajustement structurel douloureux. Au lieu de bâtir une économie solide et soutenable, les autorités se sont lancées dans une politique de « Grands Projets » financés à crédit, aboutissant à un endettement colossal de 11.110 milliards de FCFA, dont 8.000 milliards de dette extérieure.
Pour comprendre la gravité de la situation, l'économiste rappelait une règle fondamentale du commerce international : un pays ne peut acheter à l'extérieur au-delà de ce qu'il vend. Avec des recettes extérieures ne dépassant pas 2.500 milliards de FCFA, comment le Cameroun peut-il rembourser une dette aussi astronomique ?
Le constat est d'autant plus amer que le pays n'est parsemé que de « demi-projets », des infrastructures inachevées qui témoignent d'une gestion catastrophique des ressources mobilisées.
Piège du FMI, une souveraineté hypothéquée
Dieudonné Essomba expliquait le mécanisme implacable qui attend désormais le Cameroun. Lorsqu'un pays s'endette massivement vis-à-vis de l'extérieur, il doit se soumettre au Fonds Monétaire International (FMI). Cet organisme, créé en 1945 pour éviter les guerres entre nations créancières et débitrices, joue le rôle d'un huissier de justice à l'échelle internationale.
Selon l’économiste Dieudonné Essomba, le processus est brutal : le FMI commence par saisir le patrimoine du pays endetté, c'est-à-dire ses entreprises publiques qu'il vend aux enchères sous le terme euphémique de « privatisation ». Si cela ne suffit pas, il saisit le budget national qu'il met sous son contrôle, prélevant d'abord la part destinée aux remboursements des créanciers avant d'imposer l'usage du reste.
Le Cameroun a déjà vécu cette situation avec la vente de la SONEL devenue ENEO. Contrairement aux discours nationalistes qui dénonçaient une « braderie », il s'agissait bel et bien d'une saisie-vente orchestrée par le FMI. Aujourd’hui le Cameroun a racheté Eneo.
Le Cameroun se trouve dans une situation encore plus critique qu'en 1987. À l'époque, le pays possédait encore de nombreuses entreprises publiques que le FMI pouvait saisir pour régler une partie de la dette. Ces actifs ont depuis été liquidés, ne laissant que le budget comme mécanisme de remboursement.
Dans sa tribune, Dieudonné Essomba prévoyait une issue inéluctable : une baisse de la masse salariale dans les prochains mois.
Cette réduction pourrait prendre deux formes :Une baisse nominale directe, transformant un salaire de 100.000 FCFA en 60.000 FCFA dans le meilleur des cas et une dévaluation du Franc CFA de la CEMAC, réduisant le pouvoir d'achat de manière monétaire.
Toujours selon Dieudonné Essomba, deux solutions auraient pu éviter cette catastrophe annoncée : La binarisation monétaire consistant à dupliquer le Franc CFA avec une version locale, sur le modèle suisse, et la fédéralisation du pays : réforme institutionnelle qui aurait permis d'extraire des mains du pouvoir central le contrôle total de l'économie, tout en mobilisant davantage les Camerounais.
Tensions de trésorerie, symptômes d'une économie à bout de souffle ?
La suspension des versements au Fonds Routier n'est que l'illustration concrète des « fameuses tensions de trésorerie » évoquées par les autorités. Le gouvernement devra redoubler d'ingéniosité pour lever des recettes capables de maintenir le bateau à flot. Mais combien de temps cette navigation à vue pourra-t-elle durer ?
Le document du ministre des Finances révèle une vérité que beaucoup pressentaient mais que peu osaient formuler : les caisses de l'État camerounais sont dangereusement proches de la rupture. Sacrifier l'entretien des routes pour payer les salaires et la dette n'est pas une simple mesure technique de gestion budgétaire, c'est le signe d'une économie en perdition qui hypothèque son avenir pour survivre au présent.
Le Cameroun traverse indéniablement l'une des crises financières les plus graves de son histoire récente. Les prédictions de Dieudonné Essomba, longtemps moquées, semblent se matérialiser avec précision. Son analyse, aussi pessimiste soit-elle, repose sur des mécanismes économiques implacables que personne ne peut contourner.
Le pire est-il vraiment à venir pour le Cameroun ? Si l'on en croit la trajectoire actuelle, en l'absence d'un sursaut radical de gouvernance économique ou d'un miracle financier, les Camerounais doivent effectivement se préparer à des jours difficiles.
-Armand Ougock, correspondant permanent de Koaci au Cameroun.
-Joindre la rédaction camerounaise de Koaci au 237 691154277-oucameroun@koaci.com
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