Cameroun : « Anicet Ekane n'est ni un héros national, ni un martyr » : la déclaration polémique de Paul Atanga Nji
Le décès en détention d'Anicet Ekane, survenu le 1er décembre 2025, continue de susciter l'indignation au Cameroun et à l'international. Dans ce contexte déjà explosif, le ministre de l'Administration territoriale (Minat), Paul Atanga Nji, a livré ce vendredi 5 décembre sur PRC TV, chaîne de télévision appartenant à la présidence de la République, des propos qui ont jeté de l'huile sur le feu.
D'un ton catégorique, le ministre a déclaré : « Le seul qui a donné sa vie pour sauver l'humanité, c'est Jésus-Christ. Après lui, il n'y a plus personne. » Poursuivant dans cette veine, il a affirmé sans détour : « Anicet Ekane n'est ni un héros national, ni un martyr. »
Stupéfiants
Pour Paul Atanga Nji, le président du Manidem avait « choisi le mauvais côté politique ». Le ministre affirme même avoir personnellement mis en garde l'opposant lors d'une rencontre à l'hôpital avant son arrestation.
S'agissant des motifs de l'interpellation du 24 octobre 2025, le ministre écarte toute motivation politique. Selon lui, Anicet Ekane aurait été arrêté pour détention présumée de « tramadol destiné à perturber l'élection ».
L'opposition, les défenseurs des droits humains et les militants du Manidem rejettent unanimement cette version des faits. Pour eux, ces déclarations constituent une tentative flagrante de criminalisation posthume, visant à salir la réputation d'un homme dont l'engagement politique était reconnu bien au-delà des frontières camerounaises.
Le ministre a également longuement insisté sur les conditions de détention d'Anicet Ekane. Selon Paul Atanga Nji, la prise en charge médicale assurée par les médecins militaires aurait été « optimale », balayant ainsi les critiques formulées par la famille, les avocats et le parti du défunt.
Circonstances troublantes
Anicet Ekane, alors âgé de 74 ans, avait été interpellé le 24 octobre 2025 au siège du Manidem à Douala, quelques jours après l'élection présidentielle du 12 octobre qui avait vu la réélection contestée de Paul Biya. Son arrestation intervenait dans le contexte de la répression massive qui a suivi le soutien public qu'il avait apporté à l'opposant Issa Tchiroma Bakary, qui s'était proclamé vainqueur du scrutin.
Détenu au Secrétariat d'État à la Défense (SED) à Yaoundé, l'opposant historique a passé 38 jours en détention avant de décéder le 1er décembre 2025.
Equipements médicaux
Le Manidem avait tiré la sonnette d'alarme plusieurs semaines avant le décès, dénonçant la confiscation d'appareils médicaux essentiels à la survie de son président. Dans un communiqué du 21 novembre 2025, le parti affirmait que les dispositifs de soins d'Anicet Ekane, dont un extracteur d'oxygène indispensable, étaient restés dans son véhicule placé sous séquestre dans les locaux du groupement de la gendarmerie de Douala depuis la soirée du 24 octobre.
Son fils aîné, Muna Ekane, a témoigné que l'état de santé de son père s'était fortement détérioré durant la dernière semaine, avec de sévères difficultés respiratoires. « Pendant une semaine, il avait du mal à respirer ; il suffoquait », a-t-il déclaré, ajoutant que la famille avait alerté à plusieurs reprises les autorités, « mais rien n'a été fait ».
Parcours politique
Né le 17 avril 1951 à Douala, Georges Anicet Ekane a consacré près de cinquante années au militantisme politique camerounais. Figure majeure de la gauche nationaliste et héritier des luttes indépendantistes, il avait rejoint l'Union nationale des étudiants kamerunais dans les années 1970, puis adhéré à l'UPC en 1973 avant de fonder le MANIDEM en 1995.
Arrêté en février 1990 avec d'autres membres du groupe Yondo Black, il avait été condamné à six mois de détention par le tribunal militaire avant d'être gracié en août 1990. Il avait été candidat aux élections présidentielles de 2004 et 2011 sous la bannière de son parti. Ses partisans le considéraient comme l'héritier politique des héros nationalistes camerounais, et il avait été témoin de l'exécution du combattant de l'indépendance Ernest Ouandie, une expérience qui avait profondément marqué son engagement politique.
Le traitement judiciaire d'Anicet Ekane contraste avec celui d'autres personnalités arrêtées en même temps. Le professeur Jean Calvin Aba'a Oyono, soutien d'Issa Tchiroma Bakary interpellé au lendemain de l'élection présidentielle, a été libéré vendredi 5 décembre dans la soirée après plus d'un mois de détention au Secrétariat d'État à la Défense.
En revanche, Djeukam Tchameni, arrêté un jour avant Anicet Ekane, a été inculpé et envoyé au pénitencier de Kondengui à Yaoundé. Les deux hommes étaient pourtant poursuivis pour les mêmes chefs d'accusation : « insurrection », « rébellion » et « hostilité contre la patrie ».
Selon Me Emmanuel Simh, leur avocat, le juge d'instruction militaire aurait estimé que les éléments à charge contre le professeur Oyono n'étaient pas établis, contrairement à son compagnon d'infortune. L'avocat maintient cependant que les deux hommes auraient dû être libérés et dénonce une garde à vue « excessivement longue et hors cadre légal » avant leur présentation devant le juge.
Réactions internationales
Le Haut-Commissariat de l'ONU aux droits de l'homme s'est dit vendredi 5 décembre « consterné » par la mort en détention du chef de l'opposition et réclame une enquête rigoureuse et impartiale sur les circonstances de ce décès.
La Délégation de l'Union européenne au Cameroun et en Guinée équatoriale a également réagi publiquement au décès du politicien, exprimant sa préoccupation face à cette situation.
Les organisations de défense des droits humains, déjà mobilisées depuis les violences postélectorales qui ont fait officiellement 20 morts selon le gouvernement (mais plus de 55 selon l'opposition et les ONG), exigent que toute la lumière soit faite sur cette affaire.
La mort d'Anicet Ekane intervient dans un contexte déjà explosif. Depuis l'élection présidentielle d'octobre 2025, le Cameroun connaît une grave crise postélectorale marquée par des manifestations violemment réprimées. Plus de 1 200 personnes ont été interpellées selon les autorités, et plusieurs figures proches d'Issa Tchiroma Bakary, contraint à l'exil en Gambie, ont été arrêtées.
La société civile, tout en appelant au calme, exige des réponses sur les circonstances de ce décès devenu emblématique des tensions postélectorales. Pour beaucoup, la mort d'Anicet Ekane en détention symbolise la dérive autoritaire d'un régime aux abois, prêt à tout pour maintenir son emprise sur le pouvoir.
Les déclarations de Paul Atanga Nji, loin d'apaiser les tensions, risquent au contraire d'alimenter la colère d'une population camerounaise de plus en plus lasse d'un système politique qui semble avoir perdu toute légitimité démocratique.
-Armand Ougock, correspondant permanent de Koaci au Cameroun.
-Joindre la rédaction camerounaise de Koaci au 237 691154277-oucameroun@koaci.com
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