

Cameroun : Présidentielle 2025, le Septentrion en ébullition, des fidèles de Biya préparent leur émancipation
À quelques mois de l'élection présidentielle d'octobre 2025, le Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC) au pouvoir, fait face à une crise sans précédent dans son fief traditionnel du septentrion. Les trois régions septentrionales du Cameroun - Adamaoua, Extrême-Nord et Nord - théâtres d'une recomposition politique, voient leurs élites historiquement acquises au régime de Paul Biya remettre en question près de quatre décennies d'alliance.
La révolte des barons du Nord
Cette fronde inédite trouve ses racines dans une frustration grandissante face à la marginalisation politique et économique d'une région pourtant stratégique pour le maintien au pouvoir du président octogénaire. Deux figures emblématiques incarnent aujourd'hui cette insurrection larvée : Bello Bouba Maïgari, ancien Premier ministre et président de l'Union Nationale pour la Démocratie et le Progrès (UNDP), et Issa Tchiroma Bakary, ministre de l'Emploi et de la Formation professionnelle et président du Front pour le Salut National du Cameroun (FSNC).
Bello Bouba Maïgari, la rupture assumée
La convocation par Bello Bouba Maïgari d'un Comité central extraordinaire de l'UNDP pour le 28 juin 2025 constitue le premier acte de cette révolution politique. Cette date, située à exactement un mois de la clôture du délai légal de convocation du corps électoral, n'a rien d'anodin. Elle marque probablement l'officialisation d'une candidature présidentielle qui couve depuis des mois.
Ancien Premier ministre de Paul Biya de 1982 à 1983, Bello Bouba Maïgari a longtemps incarné la fidélité du septentrion au régime. Mais cette loyauté ne lui a valu qu'une reconnaissance en demi-teinte : un secrétariat d'État, un ministre délégué et pour lui-même, le portefeuille secondaire du ministère d'État en charge du Tourisme et des Loisirs (Mintourl). Une récompense jugée dérisoire par rapport aux attentes d'une région qui représente près de 40% de l'électorat camerounais.
La base militante de l'UNDP ne s'y trompe pas. Célestin Yandal, maire UNDP de Touboro, s'est fait le porte-voix de cette colère : « Si Bello Bouba reste allié de Paul Biya cette année, nous n'allons plus le soutenir. » Cette déclaration fracassante traduit l'exaspération d'une jeunesse nordiste qui revendique le changement politique et refuse désormais de cautionner ce qu'elle perçoit comme une trahison de ses intérêts.
Selon des sources proches de l'UNDP, la décision serait prise : Bello Bouba Maïgari sera candidat à la présidentielle de 2025. À 78 ans, le natif de Baschéo et ancien Premier ministre aurait choisi de « décider librement, sans calcul de carrière », profitant de son âge avancé pour s'affranchir des contraintes politiciennes.
Issa Tchiroma Bakary : L'équilibriste en terrain miné
Plus complexe apparaît la position d'Issa Tchiroma Bakary. Ministre en exercice et président du FSNC, il navigue entre loyauté gouvernementale et aspirations autonomistes. Lors de ses récents rassemblements à Garoua (Nord) et Maroua (Extrême-Nord), il s'est soigneusement gardé de mentionner Paul Biya, rompant avec les soutiens explicites qu'il avait exprimés lors des présidentielles de 2011 et 2018.
Cette omission, lourde de sens dans le contexte politique camerounais, a été immédiatement interprétée comme un signal de désaffection. Selon des confidences recueillies à Paris, Tchiroma aurait même franchi le Rubicon : « Si Biya se présente en 2025, je ne le soutiendrai pas. »
Mais c'est une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux camerounais qui a véritablement mis le feu aux poudres. Dans cette séquence très commentée, le ministre de l'Emploi porte des critiques ouvertes et cinglantes contre le régime de Paul Biya, dénonçant notamment les difficiles conditions de vie des populations du septentrion.
« Seule votre prise de conscience peut vous protéger de cette calamité. Même si c'est moi Tchiroma qui vous dit demain de voter pour les responsables de vos malheurs, considérez-moi comme votre ennemi. Ce que vous me voyez faire, c'est parce que je serai devant vous. Demain ou après-demain, je serai de retour ici parmi vous. Je n'ai rien d'autre qui m'est plus cher que vous. Certes on n'a pas pu vous sortir de la misère hier, mais aujourd'hui si on s'unit, si nous nous mettons ensemble on peut le faire », avait déclaré Issa Tchiroma Bakary dans cette vidéo explosive.
Ces propos, d'une violence inouïe dans la bouche d'un ministre en exercice, ont provoqué un tollé politique. Célestin Djamen, président du parti Alliance Patriotique Républicaine (APAR), s'est interrogé publiquement : « Que fait encore Issa Tchiroma Bakary au gouvernement ? Vous avez dit mystère ? Ne fuyez pas, nous sommes en 2025. »
La virulence de ces déclarations a même conduit certains observateurs à s'interroger sur l'authenticité de la vidéo, tant elles paraissent incompatibles avec le maintien du ministre à son poste.
Les racines du mal, un septentrion en souffrance
Cette révolte des élites nordistes trouve sa justification dans la réalité socio-économique dramatique du septentrion. Malgré sa contribution décisive aux victoires électorales successives de Paul Biya, la région demeure le parent pauvre du développement camerounais.
Le manque d'eau potable, les coupures d'électricité récurrentes, l'absence de perspectives économiques et le délabrement des infrastructures nourrissent un sentiment d'abandon qui transcende les clivages partisans. Cette situation explosive a fini par ébranler le « pacte entre les élites nordistes et Yaoundé », fondement de la stabilité politique de cette région stratégique.
La jeunesse nordiste, en particulier, refuse désormais de cautionner ce qu'elle perçoit comme une alliance de dupes. Elle revendique un changement politique radical et n'hésite plus à défier ouvertement ses leaders traditionnels jugés trop complaisants avec le pouvoir central.
Entre enjeux stratégiques et calculs politiques
Cette fronde « nordiste » intervient dans un contexte électoral particulièrement tendu. Avec près de 40% de l'électorat national, le septentrion constitue un enjeu important pour tous les candidats à la présidentielle d'octobre 2025.
Pour le RDPC, la perte du soutien de cette région représenterait un séisme politique de première magnitude. Depuis 1982, Paul Biya a toujours pu compter sur les voix du Grand Nord pour équilibrer ses résultats plus mitigés dans les régions anglophones et dans certains bastions de l'opposition francophone.
Pour les opposants, et notamment Maurice Kamto, leader du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC), cette défection des barons nordistes ouvre des perspectives inédites. Une percée dans cette région, longtemps verrouillée par les alliés locaux de Paul Biya, pourrait redistribuer les cartes de l'élection présidentielle.
Mais les stratégies de Bouba Maïgari et Tchiroma Bakary restent ambiguës. S'agit-il d'une rupture définitive avec le régime ou d'une manœuvre tactique destinée à renforcer leur pouvoir de négociation ? Leurs candidatures potentielles pourraient tout aussi bien affaiblir l'opposition en divisant les voix contestataires que constituer une véritable alternative au système Biya.
Le rendez-vous du 28 juin, une date déterminante
Tout se jouera probablement le 28 juin 2025, lors du Comité central extraordinaire de l'UNDP convoqué par Bello Bouba Maïgari. Si ce dernier officialise sa candidature, il contraindra Issa Tchiroma Bakary à clarifier sa position.
Dans l'hypothèse d'une candidature Bouba Maïgari, Tchiroma pourrait choisir le repli stratégique, espérant négocier son maintien dans les bonnes grâces du pouvoir au sein d'une alliance renouvelée avec le RDPC. Mais si Bello renonce finalement à se présenter, Tchiroma pourrait saisir l'opportunité pour incarner seul l'alternative nordiste.
Cette recomposition politique majeure intervient à un moment charnière de l'histoire du Cameroun. Après 43 ans de règne, Paul Biya, âgé de 92 ans, fait face à la plus sérieuse remise en cause de son autorité depuis son accession au pouvoir. La défection potentielle de ses alliés historiques du septentrion pourrait marquer le début de la fin d'un système politique qui semblait jusqu'alors inébranlable.
Le septentrion camerounais, longtemps considéré comme le fief le plus sûr du RDPC, est désormais en ébullition. Cette révolution silencieuse, menée par les héritiers politiques d'Ahmadou Ahidjo, pourrait bien redistribuer les cartes de la présidentielle d'octobre 2025 et ouvrir une nouvelle page de l'histoire politique camerounaise.
-Armand Ougock, correspondant permanent de Koaci au Cameroun.
-Joindre la rédaction camerounaise de Koaci au 237 691154277-oucameroun@koaci.com

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